Revoir Koi no tsumi (Guilty of romance)

 

Claude R. Blouin

 

Une invitation à présenter Koi no tsumi (Guilty of romance) au ciné-répertoire de Joliette m’incite à le voir au complet une première fois, après un visionnement partiel antérieur, dont j’avais rendu compte l’an dernier (voir plus bas, Références). L’émotion ressentie me pousse à partager avec ceux et celles qui ont vu le film les échos éveillés par cette seconde réception.

L’invitation à présenter le film en moins de quinze minutes m’obligeait à choisir de quoi ne pas parler, à propos d’une œuvre touffue. Comme d’autres du même réalisateur, elle avait provoqué une irritation née du penchant du cinéaste à vouloir donner à entendre les rythmes divers associés à une seule expérience, au point qu’il surcharge les plans de résonances. Mais il se trouve qu’il provoquait aussi à rebours, pour cela même, ma reconnaissance.

Car ce poète, reconnu tel dès ses dix-sept ans, nous livre des films qui gardent des traces de son propre cheminement vers la découverte de la forme à donner à son récit. Tout se passe comme s’il laissait dans la version finale de son film des marques de ses hésitations, de son exploration des situations qui l’inspirent, comme s’il tenait à nous faire partager les révélations dont elles furent l’occasion pour lui et son équipe. Serait-ce la suite de son expérience de cinéaste expérimental, son sens de poète averti que les enchantements naissent du contraste avec l’état de confusion dont une intuition, une apparition, une révélation nous tirent ?

Comme Takehisa Zeze, Sion Sono ne tend-il pas, par souci de rappeler l’éternelle mouvance des choses, à multiplier les fins, ainsi que, en cours de développements, à insister sur ses trouvailles ?

Ce qui me frappe à revoir le film en dvd, c’est que le sens poétique de l’écrivain accompagne la manière dont le cinéaste joue de la variété des ressources du cinéma pour signifier, en opposition à ce que les personnages projettent ou veulent projeter, une émotion différente. Ainsi la caméra se fait-elle oscillante à plusieurs reprises, en gros plans, et introduit une impression d’instabilité, alors même que l’héroïne, Izumi, semble vouée à la régularité des routines ou que Mitsuko, son égérie, cherche à affirmer sa maîtrise.

Mais cela, pourrait-on me dire, n’est peut-être que conséquence de conditions de tournage, de fonds disponibles pour l’équipement, et qui plus est, n’est pas constant. Sans doute, mais cela s’ajoute à un élément qui relève incontestablement du choix esthétique : celui des morceaux de musique, violoncelle parfois, souvent rythme mélancolique, qui enveloppent notre perception d’une émotion distincte de celle que joue l’acteur.

Voyez aussi les références au Château de Kafka, niées en une occasion par l’enseignante, mais que le lecteur de l’écrivain tchèque reconnaîtra comme pertinente d’abord dans le parcours méandreux des rues du quartier des plaisirs de nuit, ce Shibuya des love hotels, puis dans le mystère que sont, au personnage qui se présente sous le jour de la maîtresse des mots, les propres sources de son action, dont on découvrira qu’elles remontent à la relation avec le père et la mère. Château/taudis, idéalisation/précarité, le récit se construit en reflets qui rebondissent… Corps ou conscience, ce qu’on désire château se découvre, quand on change d’angle, taudis.

On sera frappé du contraste entre néons verts ou rouges, créateurs de féérie, et tonalité des lieux vus à la lumière du jour, morose, triste, comme si le plaisir reposant sur des artifices ne pouvait que masquer une insatisfaction. En cela, les choix de compositions des plans rejoignent la nature du contenu du long poème japonais cité, sur les pouvoirs trompeurs, au mieux partiels, de l’expression. La parole libère ? Mais n’est-elle pas aussi fallacieuse idéalisation ?

Ce même poème renvoie à l’interprétation qu’invite le cinéaste à donner aux expériences d’Izumi, par l’insistance sur la notion d’assimilation par le corps des données dont on prétend faire un savoir. Tout comme Rabelais pose la question de la passion du savoir et de la nécessité de la connaissance en lui jouxtant un chapitre sur les procédés torcheculatifs, Sono nous fait glisser du grotesque au tragique, du plus ineffable au plus concret, de l’idée à l’urine. Digérer une expérience, cela ne signifie pas seulement retenir ce qui construit les neurones, c’est aussi produire ce qui réclame d’être éliminé…

Et l’exemple des tableaux du père apporte une sourdine à l’idée que peut-être l’art pourrait servir de sublimation : ici n’aurait-il été aveu, voire invitation ?

Si les policiers notent l’incongruité sociologique du statut de prostituée d’une femme que le milieu familial aussi bien que l’éducation et le statut de prof d’université devraient rendre atypiques de la moyenne des prostituées, du moins la fin du film fera-t-elle apparaître un dysfonctionnement familial et un aspect de la relation père-fille dont les prostituées présenteraient un pourcentage plus élevé que la moyenne des femmes. Ainsi celle qui paraît par sa position et sa maîtrise du discours et son audace la moins conforme à un stéréotype finit-elle par perdre de son exclusivité pour rejoindre l’expérience commune d’une part des femmes. Cela n’enlève rien toutefois à l’indicible singularité qui est la sienne, au fait qu’ultimement, si notre sympathie et notre imagination peuvent donner à penser quelque chose de son mouvement intérieur, ce savoir relève bien de l’imaginaire, d’une approximation. Nous avançons à tâtons.

Ainsi se trouve, a contrario, confirmée une constante de ce film : aucune des femmes n’est conforme tout à fait ni à ce qu’elle donne à voir, ni au stéréotype de la poupée kawai, docile. Pas même Izumi, qui ouvre le film avec son comportement caricaturé par le recours à la répétition de plans de pantoufles soigneusement, parallèlement rangées. Si Izumi n’avait pris en compte son insatisfaction ne serait-elle pas devenue comme la mère de Mitsuko, cette formidable femme dont le japonais d’aristocrate exprime avec douceur et un langage suprêmement poli le dégoût où elle tient ce par quoi l’être humain relève de l’ordre animal ?

Ni Mitsuko, ni sa mère, Izumi pourrait plutôt ressembler, en fin de parcours, paradoxalement, à l’héroïne de Kibô no kuni (Land of hope), le film qui a suivi Koi no tsumi.

Kibô no kuni a été réalisé après le tsunami, après donc le réveil d’une société qui prenait pour acquise la facilité d’accès à la nourriture, à l’énergie et aux communications, dont elle réalisa soudain que l’abondance était une rareté, société soumise aux soubresauts violents de la nature comme une femme aux humeurs du dieu du vent. L’héroïne incarne cette part du Japon qui renoue avec le prix d’une vision non plus parcellisée de nos désirs, mais assemblée, dans le respect du mouvement perpétuel qui nous traverse, dans le souci d’attribuer leur part juste à chacune de nos attentes. Au prix justement de l’attente, au mépris du seul souci d’immédiateté des satisfactions.

Or cette héroïne qui choisit de fuir la zone irradiée se trouve rencontrer l’aval de son beau-père, dont la décision de rester semble au contraire nier la pertinence du choix de la bru. Mais c’est oublier qu’il prend en compte les âges, la différence de situation et appelle de ses vœux la vie d’une descendance qu’il ne connaîtra pas. Il n’est pas sans poser, dans une perspective différente, l’interrogation que suscite Mitsuko par son désir de mort.

Ainsi l’épouse jeune, par amour pour son mari, tiendra-t-elle tête à celui-ci, au lieu de se mouler dans le rythme de la compagne renvoyant à l’aimé le pur reflet de ce qu’il veut entendre, ainsi qu’aurait bien pu le faire une Izumi qui serait restée sourde à sa propre insatisfaction et aurait refusé d’en explorer les origines.

On peut croire que pourrait agir comme l’héroïne de Kibô no kuni la nouvelle Izumi, nourrie de son détour par l’expérience et la connaissance de soi qu’elle a engendrée. Mais, de même que, par des voies différentes, la mère et sa fille Mitsuko se désintègrent mentalement, de même, par usure, Izumi pourrait bien rejoindre leur état : le récit nous laisse en suspens quant à l’issue de sa résilience.

Quant à elle, la policière contredit le stéréotype de la femme hystérique qui serait trop sensible pour voir les horreurs, car son sang-froid la rend capable de soutenir la vue de l’autopsie d’un cadavre déjà en lui-même monstrueux, objet d’un montage. Mitsuko, l’universitaire, se livre de nuit à des activités de prostitution en cachant sa fragilité sous un rideau de mots, rationalisations soulignées par les choix musicaux du cinéaste. Aucune des quatre femmes auxquelles on choisira de s’identifier ou qu’on se prendra à rejeter ou à juger ne s’avèrera réductible aux traits convenus du personnage qu’elle joue pour se situer dans sa société.

Chose certaine, Sion Sono démonte le mécanisme par lequel, de rituel pacificateur, les comportements appris, auxquels on se conforme, deviennent mécaniques : la douceur ne coule plus de celle qui s’élance de nous, mais du désir narcissique d’être tel qu’on vous félicite d’être.

Homme ou femme, le narcissisme fait du regard d’autrui et de l’estime de soi les moteurs de nos comportements. Intégrer au corps, tel est, avons-nous rappelé, le sens de l’expression populaire par laquelle on désigne le véritable savoir. Le sens des mots doit passer par l’expérience du contenu qu’ils désignent pour se qualifier de sagesse. Mais le danger, à partir de là, de rationaliser l’accomplissement de toute pulsion se manifeste, exemplaire en Mitsuko, consciente de ce péril, impatiente de l’aveuglement de qui s’arrête aux formules. L’antithèse, la négation de notre animalité, est-elle bien acte de volonté, voire de spiritualité ? Certainement le scénario et le style du récit et le jeu de la mère permettent de cultiver le doute !

Ainsi quelle que soit l’héroïne à laquelle nous nous identifions, nous sommes voués à une remise en cause de nos rigidités, de ces représentations en lesquelles nous prélèverions du réel ce qui nous en protègerait de ce qui nous y fait peur.

C’est que tout ce qui est idéalisé le serait au mépris de ce qui fait de nous un être vivant, un animal. Les cinéastes japonais, plus que d’autres, partagent ce sens du vivant comme organisme devant assimiler ET rejeter : des plans sont composés de façon à rappeler l’existence, l’inévitabilité des sécrétions de toute nature. Les taire, ce serait donner du monde une représentation mensongère, mortifère. Or cela me paraît remonter à loin, être porté par des légendes très anciennes, voire les mythes fondateurs, qui se trouvent ainsi attestés en leur richesse.

Joue un rôle essentiel à cet égard la présence d’un mannequin, poupée à la surface lisse, immobile, sans les fragilités de la chair, objet imperméable, du moins par comparaison, au processus de déformations des corps par l’âge ou la maladie. Ajoutez à cela le passage d’Izumi par l’expérience du mannequinat, création temporaire d’une pose idéalisée, d’une allure affichant jeunesse et pureté. Souvenons-nous enfin que, pour les Japonais, les poupées sont objets de fête, qu’on les brûle avec le respect dû au corps des défunts aimés, car négligées, abandonnées, elles seraient, selon la légende, munies du pouvoir de nuire aux ingrats et aux indifférents.

Rappelons le titre d’un des dessins animés les plus célèbres au Japon, un des plus beaux de la cinématographie mondiale : Princesse Mononoke. Mono, objet ou chose, ke esprit. Combien de fantômes (yôkai) habitent les contes populaires des régions du Japon, signe de fantaisie certes, mais aussi d’une intuition de présence dont le sens déborde notre capacité d’explication ? Climat que retrouve en cadre on ne peut plus contemporain le film de Sono.

Ainsi donc à la fois idiot le mâle qui prendrait le mannequin pour le réel, oublierait que la prsotituée joue « à la poupèe », fatal le mépris qu’on lui manifesterait. Car comme le fantôme, la poupée n’a qu’un âge, elle ne change pas, en cela elle existe certes, mais ne participe plus du monde organique des vivants. Le nier en voulant que la femme soit son rôle, ne serait-ce pas, en refusant de prendre en compte les siennes, ne pas vouloir voir la réalité de notre propre vulnérabilité, l’inéluctabilité de notre usure ?

Tant que le client consent à ce qu’il y ait jeu, illusion, paradoxalement, l’estime de soi des protagonistes, client comme prostituée, pourrait espérer être sauvée. Réduire l’être de chacun à son rôle, ne serait-ce pas engendrer la spirale du mépris ? Ne serait-ce pas par essence mépriser la complexité de notre être, son inachèvement foncier, son irréductibilité à toute idée pure ? Mais, dans la répétition, est-il possible de maintenir cette sensibilité à la complexité des êtres à leur appartenance à l’ordre du réel plutôt qu’à celui du fantasme ou de l’idéal projeté?

Voilà les questions que fait remonter ce passage en lieux artificiellement éclairés, glauques, puis lumineux, puis très sombres à nouveau. Parade de costumes, jeu des timbres de voix, mise en scène de désirs.

La déesse Izanami, se cachant aux enfers, recherchait l’obscurité suite à sa mort, parce qu’elle savait bien que son amoureux, Izanagi, ne pourrait tolérer de la voir telle qu’elle était devenue. Ni elle d’ailleurs : elle en aimait la nuit ! Morte de mettre au monde le feu, elle était furieuse du mouvement de colère par lequel son amant s’en était pris au dieu igné. Or, en mâle impétueux, fantasque, violent, mais ici séducteur plus qu’agresseur, le dieu trouva le chemin des enfers, et par ses propos habilement tissés persuada son aimée de le suivre. Elle y consentit, à condition qu’il ne la regarde pas.

Mais au mépris du désir de sa compagne, il voulait voir ! Il trouva moyen d’éclairer le visage de son Eurydice : en sortaient des vers…

Comment ne pas revivre le souvenir de ce mythe à la vue du film de Sion Sono, qu’il y ait lui-même pensé ou pas ? En cette ancienne société de tradition rurale toute fraîche qui s’imposait à celle des chasseurs et pêcheurs et donna naissance à ce mythe, la conscience de la vie se nourrissait de celle de la mort, comme les céréales qu’on cultive d’engrais. Refuser de voir la vie avec son cycle de mutations perpétuelles, c’est vouloir la fixité des fantômes…

Si céder à une impulsion mène à l’autodestruction, tout simplement parce que cela marque un aveuglement à notre propre variété d’attentes et une incapacité de mesurer l’importance réciproque de ces diverses attentes, à rebours, la négation au nom de la pureté (spirituelle, ethnique, éthique) de ces élans charnels, qui pourrait être tenue pour signe de supériorité, n’aboutit-elle pas, dans Koi no tsumi, au crime d’amour (traduction littérale du titre), crime par manque d’amour, crime par amour qui s’abuse sur son objet ?

Comique ce film, par la répétition des gestes, puis redondants, tant cette répétition de scènes paraît ne rien ajouter à ce que nous avions compris des deux premières manifestations d’un geste donné, d’un mouvement. Comique noir du jeu de la mère, violence dont la vue me fait violence, quand les coups pleuvent ou quand la violée passe de colère et haine à élan passionnel en quelques secondes pour son violeur, comme s’il l’obligeait à reconnaître ce qu’elle s’était nié. Cette dernière situation si commune au cinéma du genre roman porno, même si on m’en attestait la vérité pour ce film(ce dernier est inspiré d’un fait divers du début des années 90), me paraît invraisemblable telle que montrée !

Mais demeure en résonnance avec les mythes…

Ce second visionnement me presse de souligner les correspondances avec les légendes autour de la poupée – on pourrait aussi, comme je le faisais dans mon premier article sur ce film, rappeler celles des femmes fantômes vengeresses – et surtout avec les mythes de création du monde, ceux d’Izanami et Izanagi, mais aussi de la déesse du soleil. Amaterasu, respectueuse du vivant, attentive, soudain, à voir le dieu du vent, impétueux, fantasque, provoquer la blessure d’une de ses demoiselles d’honneur, s’enferme dans une grotte, dans la nuit donc, boudeuse déesse, dont la bouderie menace de mort tout l’univers privé de sa lumière.

Voyez comment les millions de dieux la tireront de son antre, de ses habitudes de cloîtrée. On commence par préparer un arbre de beauté, lumineux de bijoux, avec un miroir en son sein, juste devant l’entrée de la caverne. Puis la déesse de l’aube danse, et premier strip tease de l’histoire, découvre son sexe, provoque l’éclat de rire de ces millions de dieux. Comment la déesse Amatérasu aurait-elle résisté à la tentation de savoir ce qui faisait rire les autres ? Elle entrouvre la caverne, et devant elle, voici qu’une femme lumineuse lui fait face, dont la beauté l’éblouit, mais sa rivale tout de même, dont elle veut s’assurer de l’identité, de marquer la sujétion à sa force : séduite par son propre reflet, elle avance donc, et le plus fort des dieux en profite pour la saisir au bras, la sortir de la caverne. Et sans ce retour à la lumière, ni vous, ni moi ne serions là !

Parmi ces mâles dignes du trickster amérindien, inconscients joueurs de tours, insensibles par impétuosité et goût du moment présent, par incapacité d’attendre, l’un des protagonistes semble même échappé de l’univers de Clockwork Orange, appelé à la démence. Les femelles traversent la vie, impérieuses, coquettes, attentives au bien d’autrui, mais susceptibles de colère, de se retirer, et de ce fait, de condamner les vivants à la mort. Les prototypes du film de Sono ont bien lointaine ascendance…

Voyez la place du miroir, et ces personnages de mâles, comme mouches s’agitant en maîtres du monde, réclamant une réponse immédiate, cruels dans les tours qu’ils jouent. Voyez ces femmes qui cherchent qui est le maître de tout château, à commencer par celui de leur propre esprit : qui donc, en nous ! décide, dit « je veux » ? Qui donc échappe au conditionnement par lequel nous finissons par considérer naturel ce qui est rôle appris, jusqu’à voiler d’illégitimité ce que nous apprenons à redouter ?

Demande Sono, tel du moins suis-je à même de le comprendre, en ce second visionnement, en cette version plus courte que j’ai vue en dvd, distribué par Kfilms Amérique.

 

Références

 

Pierre Lévêque, Colère, sexe, rire Le Japon des mythes anciens, édition Les Belles-Lettres, 1988 (ouvrage essentiel aux nippophiles, éclairant pour quiconque s’intéresse à la psychologie, à l’anthropologie ou à la narration)

Sur mon premier visionnement de Koi no tsumi : http://shomingekiblog.blogspot.ca/2011/10/femmes-seules-le-cinema-japonais-au-fnc.html

Sur Kibô no kuni :http://shomingekiblog.blogspot.ca/2012/10/les-jeux-de-la-memoire-et-de-loubli-le.html )

 

 

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