Un vieux fou de cinéma au FNCM 2015

par Claude R. Blouin


Voilà, voilà ! Le vieux fou de cinéma japonais, toujours aussi enchanté par le souvenir des estampes d’Hokusaï, entreprend ce qu’il considère être son dernier festival à titre de chroniqueur.

Qu’est-ce donc que cela : chroniqueur  de films projetés en festivals?

Voir du cinéma japonais le plus d’œuvres possibles en un temps resserré, sentir l’humeur du temps, s’il en est une ; garder en tête que cet air tient peut-être pour beaucoup à la sensibilité et aux attentes des programmeurs ; rester attentif au type d’écoute qu’inspire l’ouverture de chacun des films, saisir sa spécificité en un seul visionnement ; rendre compte le plus objectivement possible du travail du film en lui , en s’appuyant sur des moments précis, des moyens repérables. Tenir chronique, c’est-à-dire, respecter le jeu dans le temps des idées et émotions successives éveillées, et cela jusqu’au moment, où quelques heures après avoir vu l’œuvre, celle-ci continue à l’interpeller ; servir le plus honnêtement possible le plus d’œuvres japonaises, traiter à égalité chacun des cinéastes, et pourtant le faire autour de ce titre qui les fédère : cinéastes JAPONAIS.

Bien plus curieux de la condition humaine que du Japon ou du cinéma, convaincu que l’essentiel n’est accessible que par des voies obliques, à l’image de ce que permet le microscope électronique, ce chroniqueur qui, en clin d’œil à Hokusaï, à un mort donc, se traite de fou, corrige ce terme de « fou » par le complément adjoint « de cinéma ». On n’est pas fou quand on est fou de quelque chose ?

Eh ! Eh ! S’il s’attache au cinéma, et spécifiquement japonais, c’est bien par conviction qu’il n’y a d’êtres que singuliers, qu’il faut s’attacher aux êtres particuliers pour se laisser enseigner quelles sont les lois qui nous gouvernent, songe-t-il, maintenant comme il le faisait à quinze ans, en voyant Les contes de la lune vague après la pluie, son premier film japonais.

Entretemps il s’est fait des amis en cette culture, il continue à lire et voir ce qu’il peut qui en provient, mais toujours en un aller et retour qui le presse de regarder ce qu’il a sous les yeux, les êtres singuliers qui lui sont proches. Cela, il n’y aura pas de retraite de cela.

Mais le corps parle. À l’angoisse de la jeunesse, à la peur de passer à côté de quelque chose, à l’avidité de tout éprouver dans le but de découvrir ce que l’on peut, a succédé la conscience de la perte lente et au détail de ressources tenues pour évidentes. Et devant le temps qui rétrécit, le sentiment qu’il y a urgence moins à couvrir du territoire qu’à bien creuser celui qu’on a sous ses pieds.

Mais on voit tout de suite qu’il se méfiera de creuser ainsi, avant terme, sa propre tombe à force de restreindre le champ des possibles, à force de trop anticiper.

Alors, à de plus jeunes l’énergie de voir des films à neuf heures le soir aussi bien que le lendemain à neuf heures du matin, de croiser des gens, d’écouter le concert de réactions qui vient couvrir sa voix propre jusqu’à ce qu’il trouve moyen de la poser.

Vieux, le fou de cinéma japonais choisira donc quelques films l’an prochain ! Peut-être même, comme il ne s’imposera plus, par devoir de chroniqueur, de rendre compte de tout, si un film le lui inspire, ira-t-il renouer avec l’entrevue avec le réalisateur.

Mais seulement s’il a au préalable écrit son brouillon : il y tient, est-ce comme à une manie de vieux ? Plutôt à un instinct de justice, par goût de justesse, de respect aussi envers ses propres capacités de réception, de manière à ce que de son récit l’on puisse éventuellement pressentir ce qui, plus ou moins consciemment, le presse de regarder ceci plutôt que cela, et de revenir sur ce film plutôt que sur cet autre.

Voir encore des films, tant que la vue le permettra, et l’ouïe, écrire encore, et publier, tant qu’il aura tribune pour ce faire, mais à petites doses.

Et peut-être faire de l’expérience d’un film l’équivalent de celle d’un voyage, dont il rendra compte en plaçant l’œuvre dans le contexte spirituel où il se trouve au moment de la recevoir.

Si d’autres fous de cinéma japonais estiment qu’il peut leur ouvrir des pistes vers le passé pour éclairer le présent qu’ils observent, il aurait plaisir à les accompagner, à remonter le long des chroniques pour y retrouver le fil qui relie les films qu’il a vus à ceux qui éveillent leur propre curiosité et leur désir d’en parler.

Voilà, se dit le fou de cinéma japonais, en dépit de ce que tu écris, de ta décision de cesser avec cet article ton activité de chroniqueur, voilà, tu projettes encore. Apprendras-tu donc jamais ?

Projet court terme : atteindre aujourd’hui l’autre rive de ce qu’aura été pour toi le FNCM 2015 : voir cet après-midi le film de Kiyoshi Kurosawa, Journey to the shore. En rendre compte. Pour y arriver, ton éventuel lecteur aura découvert le long métrage An de Naomi Kawase, le film d’animation La tristesse de Belladonna de Eiichi Yamamoto, et deux documentaires : Birth of sake d’Erik Shirai, The Oyster Factory de Kazuhiro Sôda.

Déjà engagé dans le nouveau rythme que tu pressens devenir le tien, tu auras manqué Hiso Hiso Boshi (Whispering Star) de Sion Sono, Gokudo Daisensô (Yakuza Apocalypse)de Takashi Miike, le court métrage Ochibisan ( The Diary of Ochibi) de Masashi Kawamura. Est-ce bien le même, tu auras commenté en deuxième partie de l’article consacré au FFM 2015, le savoureux Dosukoi Musical (Sumo Road – The Musical

) de Ken Ochiai. Comme chaque fois, vieil homme, tu te demandes que penser de la chance que donnent les festivals de voir des films japonais, en un passage si fugace, une ou deux séances. Car quel cinéma pourrait bien accueillir les films que tu rates, que pourras-tu voir des films du Japon le reste de l’année, un à la fois, avec du temps entre deux projections pour laisser se prolonger les résonances d’une oeuvre ?



An de Naomi Kawase


An se présente comme un film sur le bonheur tel qu'il s'exprime dans la préparation de la pâtisserie qui donne son titre à ce récit poétique. À première vue, ce film paraît aller dans le sens d'un thème récurrent ces dernières années : le bonheur et la bouffe. Il le ferait aussi en suivant deux lignes spirituelles souvent reprises par divers cinéastes nippons: attention à chacune des étapes de la fabrication d’un mets ou d’un produit d’artisanat, aussi bien qu'aux instruments de travail. Attention à la dépendance humaine à la nature.

Attention égale de la cinéaste aux visages. Chacun mérite cette attention, certes, mais Kawase ajoute une nuance à la manière dont d’autres abordent ce thème des vertus de l’attention au présent, à chacune des étapes d’une opération. 

Le film s'ouvre par un bruit métallique. S'agirait-il du pas d'un prisonnier? Cet homme ne sort-il pas d'une pièce avec un numéro sur la porte? L'agressive note métallique revient dans le fracas des roues d'un train.

À cela s'oppose ce qui deviendra un leitmotiv: la vue de la frondaison des arbres, l'écoute du murmure des ramures. Tokue, une vieille dame qui insiste pour se faire engager par l'homme qu'on a vu sortir de chez lui du pas lourd d'un prisonnier, Tokue invite ce cuisinier comme sa jeune cliente Wakana à prêter l'oreille à la nature: les bruits sont porteurs d'histoire, l'imagination peut s'en emparer et faire en sorte que nous nous sentions reliés non seulement à la nature, mais entre nous.

En fait, c'est plus qu'une nuance qui distingue ce récit de ceux qui racontent comment l'attention à ce que l'on fait, la capacité d'attendre et de se laisser imprégner, de donner du temps au temps nous permettent de trouver sens à la vie.

Kawase approfondit son  style propre, c'est-à-dire là manière dont elle peut donner à entendre ce par quoi il lui paraît que nous sommes rythmés. Ainsi le plus urbain des films d'elle que j'ai pu voir reste-t-il profondément relié à plusieurs manières dont la nature pourrait nous interpeller au milieu du métal et du béton. Ici la classique référence aux cerisiers se trouve renouvelée du fait de son association à des mains, association qui prendra, au cinquième du film, tout son sens, mais aussi association à la lune vue en commun, cette lune qui a déjà éclairé jusqu'au titre d'un précédent Kawase, Hanezu.

Le rappel que l'être humain appartient à la vie se trouve souligné par la présence de la forêt, mais surtout par le déplacement de la caméra sous les frondaisons, entre les troncs, comme si un esprit parcourait l'espace. Écho de l'animisme, sensibilité à la dépendance de l'homme. Celui-ci, laisse entendre le récit, s'est déshabitué des vertus de l'attente et de l'écoute. La mécanisation des étapes du travail handicape au lieu d'alléger la vie du travailleur, car elle entraînerait la sclérose de l'ouïe, de l'odorat et de la vue rendus inutiles. De la sorte nous privons-nous de sens, avec toute la richesse de connotations de ce terme!

Un cuisinier endetté, une adolescente à l'avenir qui risque d'être boycotté, une vieille dame qui implore, pourquoi donc, de travailler: chaque âge à ses problèmes, chaque âge a ses richesses.

Kawase nous invite à voir, à écouter, à ne pas être si pressé. L'étonnant c'est qu'on a beau savoir où elle va, prévoir de quelle sagesse la vieille dame sera la révélatrice: la nature du préjugé dont elle est victime non seulement nous étonne, mais permet à la cinéaste d'insérer une dimension documentaire, sans perdre le rythme de la fiction.

Le vieil homme n'a senti aucune longueur, le prévisible du scénario se trouve, en effet, sublimé par le fait qu'il permet de quitter l'ordre du suspense pour épouser très justement le rythme que Tokue nous invite à prendre.

Kawase laisse le cœur léger comme on peut l’avoir, comme l’a Wakana, à écouter un canari.


Kanashimi no Beradonna de Eiichi Yamamoto

Belladonna of Sadness


Le réalisateur et son directeur artistique Kuni Fukai vont faire de cette adaptation de La Sorcière de Michelet l’allure d’une synthèse des caractéristiques de l’animation indépendante. De la toute fin des années soixante à 1973, année de sortie du long métrage, des spectateurs fouineux pouvaient découvrir ces œuvres en divers festivals ou dans des cafés transformés en salles de projection. De l’anarchisme d’un Kuri Yoji dont les quelques centaines de courts montrent en un carrousel incessant le mâle de notre espèce poursuivi par une femelle plus imposante, à Sadao Tsukioka qui interroge de son dessin économe les démons de l’être humain et son rapport à la technologie, contradictoire, à Yoko Tadanori, plus célèbre comme affichiste qui saisit le moment juste avant l’explosion de la violence, à Uno Akira, dont le trait est si souple qu’il a l’air produit par une patineuse, tous explorent le chaos interne duquel certains perçoivent un rythme d’harmonie possible, tandis que les autres demeurent plus sensibles à l’incessante transformation des êtres. C’est que l’horloge clique, et l’on a beau présenté éros en adversaire de Thanatos, il se trouve des artistes pour y voir plutôt son avatar, sinon son prophète.

De cela se souvenait le vieux fou de cinéma japonais, de cela, et que Belladonna était comme un condensé d’une époque.

Et que la compagnie Mushi, créée par Osamu Tezuka, s’était dévolue à soutenir l’ampleur de perspectives dont les techniques d’animation étaient porteuses.

Le mangaka, en ses mangas, avait établi combien des sujets de préoccupation d’adultes et des récits adressés à eux pouvaient trouver leur public en un support qu’ailleurs on associait à la jeunesse. Rapports au pouvoir, à l’éros, à la mort, aucun sujet ne devait être interdit au dessinateur/conteur. Et Tezuka espérait bien établir que cela était vrai de l’animation, d’où ces 1000 et 1 nuits (69), Cléopatre (70) et Belladonna (73), tous réalisés par Yamamoto : Tezuka mit la main à la réalisation des deux premiers, agit à titre de producteur pour le troisième.

Commercialement, la compagnie Mushi ne put poursuivre dans cette voie du long métrage pour adultes ; pour un temps encore, le long métrage d’animation allait être orienté uniquement vers les enfants. Avec succès. Ces enfants devenus adultes seront accompagnés par les productions du Studio Ghibli. Quand le vieil homme verrait, de vingt ans plus jeune qu’il n’est aujourd’hui, à neuf heures du matin, Princesse Mononoke, dans une salle de mille places, avec des spectateurs, en dépit de la loi, debout dans les allées latérales, il n’y aura pas un enfant. Des gens entre vingt et cinquante ans.

De son visionnement du film de Yamamoto, est-ce en 1973 ou à l’occasion d’une reprise en 74 ou 75, il ne sait plus, il garde souvenir de formes qui se délient, d’une ambiance où éros n’est pas sans morbidité, rien de la trame narrative. Autant dire que le film ne lui a pas laissé l’impression des Grimault, Takahata, Miyazaki, mais une trace d’invitation à « laisser s’exprimer nos démons », comme nous y invite Joubert. Assez pour qu’il se souvienne de ce film quand des décennies plus tard, au FFM, il verra The sensualist de Yukio Abe, 1991, plus proche de la tradition de l’ukiyoe que le film de Yamamoto.

Kanashimi no Beradonna, indirectement nourri de la tradition de l’estampe, la revisite en s’inscrivant davantage dans la filiation de ce qu’elle était devenue chez les peintres autrichiens. Cette mixité des influences est en soi aussi très « japonaise » !

De cela, oui, il avait le sentiment, l’admirateur d’Hokusaï. Mais d’une scène en particulier, non. Pourtant, ce dessin animé comporte des dessins fixes…

C’est donc avec curiosité qu’il se dirige vers la salle où il va voir non seulement un des premiers longs métrages destinés spécifiquement aux adultes, mais aussi un film lié à ce qu’il fut, cette année-là et les suivantes, nouveau marié. Pour cela même peut-être plus réservé face à un esthétisme qui lui paraissait et lui paraît toujours une manière désespérée de se donner courage, de patiner avec autant plus de grâce que l’on est sûr de la minceur de la patinoire sur laquelle on évolue.

On comprendra qu’en 2015 le fou de cinéma puisse entrer en résonance avec cette forme de sensibilité.

Le vieil homme avait oublié la transposition des sujets peints par Bosch, Breughel, Dürer, Uccello. Il avait oublié qu'ainsi Yamamoto préservait l'insertion du récit dans le régime féodal qui glissait vers la renaissance. Il avait oublié combien à côté du maniérisme et des fioritures dans les scènes censées représenter le bonheur, le dessin s'animait de manière plus puissante, dès lors qu'il s'agissait d'exprimer la violence du vivant, celle de la souffrance de la violée, Jeanne, celle du consentement à l'énergie méconnue qu'elle a en elle. 

Il avait oublié la trame de cette histoire du caprice d’un seigneur qui détruit l’amour de Jean et Jeanne, par pure cupidode domination, de cette histoire ensuite de l’apparition de celui qu’on nomme Satan qui se déclare alter ego de Jeanne. Se vengera-t-elle, triomphera-t-elle, quel est donc le sujet réel de cette histoire qui commence dans la mièvrerie et s’achève dans l’épopée ?

Il avait aussi oublié, le vieux fou de cinéma, à quel point, par ses illustrations qui rappellent celles des pochettes de disque, psychédéliques, par ses musiques, du jazz au rock, le dessin animé témoignait de l'espérance d'une renaissance, au-delà même du Make Love, not Warsi associé aux débuts des années soixante-dix. Procès de l'appui du haut-clergé aux forces en pouvoir autant que de sa méfiance du plaisir au nom du devoir, le film trouve à animer le dessin de deux manières.

Premièrement, en conformité avec le mode de lecture japonais des rouleaux peints médiévaux, la caméra balaie l'illustration de droite à gauche. Ce procédé lui a parfois fait trouver des longueurs à la narration, à ce spectateur plus vieux, mais, deuxièmement, par contraste, le surgissement de l'animation proprement dite, ces fonds noirs sur lesquels se détachent en rouge et blanc les personnages, cet échange du fil qui fait la fortune de Jeanne en chevelure qui manifeste sa vitalité, ces ombres chinoises du rouet qui évoquent les Parques, ces métamorphoses de celui qui se présente à Jeanne violée pour répondre à son appel, cette danse érotique qui mime les danses macabres, ce surgissement des bêtes de nos bestiaires intimes, telles qu'elles pourraient s'agiter en nos coïts, ah ! oui ! tout cela, vieil homme, tu ne t'en souvenais pas avec l'intensité de réception que ce second visionnement te procure.

Excellent, te dis-tu, vieux, quand la situation et le thème appellent expressionnisme et surréalisme, voire écho des dessins de Cocteau ou de Picasso, prise en compte de l’art contemporain abstrait jusque dans cette forme très expérimentale de films, en ce début de décennie objet d’études de psychologues de la perception, le flicker film. Le récit frappe alors par son inscription, en parallèle de l’histoire de la peinture, dans celle de la montée de la révolte des peuples opprimés, de la lente libération des femmes, montrées elles-mêmes en toute fin, quelques siècles plus tard, meneuses de la révolution française: dernière image, La Liberté guidant le peuple.

Mais à cet appel à la libération des femmes qui se conjugue à celui de mettre fin à la guerre dont elles sont les premières victimes se joint une illustration de ce qu'il advient quand au lieu de diaboliser l'énergie érotique, d'idéaliser la chasteté, on permet à la femme de se connaître désirante, puissance de création.

À défaut de ne pouvoir dédiaboliserle plaisir, laissent entendre Michelet et son adaptateur, deux hommes donc par la fiction cherchant à épouser le rythme des femmes, c'est à la puissance du ressentiment féminin que l'on s'expose.

La puissance de la femme se trouve ici signifiée par le personnage susdit, venu, soi-disant à l'appel de Jeanne et qui se dit son double. Et s'il ne se joue pas d'elle en disant cela, si cet être plus loin désigné par le terme de Satan est bien son double, alors on comprend combien pour le cinéaste et son concepteur graphique cette puissance féminine est considérable. N'est-elle pas tour à tour, petit moine, pèlerin, pénis, clitoris, flamme, être sans lieu fixe? Dotée d’une voix de vieillard, si, mais capable de gravité autant que d’ironie ?

Ah! oui! Vieil homme, tu avais aussi oublié, mais alors totalement, que la voix de ce double est celle de l'acteur japonais le mieux connu des cinéphiles québécois de ta génération, Tatsuya Nakadai. Ainsi se trouve intégrée à l'image de l'éternel féminin sa part de yang. Mais aussi la sorcière de Michelet, l'Européenne, rejoint la figure de la femme aux pouvoirs si grands qu'ils en épuisent les ressources de l'homme, comme la Femme des neiges. Jeanne, vaincue, de son bûcher naît une flamme qu’en ce début des années soixante-dix, en écho de Michelet, on aimait croire irréversible, sinon à deux doigts d’advenir, ici, maintenant.


The Birth of Sake de Erik Shirai


Ce prénom trahirait-il une ascendance partiellement non japonaise ? En tout cas, ce cinéaste et son équipe témoignent d’un désir de se couler dans ce qui a priori ne leur est pas aussi familier qu’aux sujets filmés. Loin de simplement enregistrer le réel, ce qui certes peut avoir ses vertus, Sakai retrouve la voie d’un Walter Ruttmann, atteint en certains endroits sinon la qualité d’un mouvement symphonique, du moins celle d’une sonate, voire de la musique de chambre.

Ce documentaire nous ravit d’abord par son ton élégiaque. Neige, bruits de pas. Les premières minutes inscrivent le travail de fabrication du saké dans les racines spirituelles du Japon. Blancheur de la neige, du riz, des bottes et des casquettes des travailleurs, des cristaux.

Eau donc, en vapeur, en vagues dont l’écume répond de sa blancheur à celle des éléments susdits. Pureté si liée au shintoïsme, dont une corde tressée avec leurs parures de papiers pliés blancs rappelle la présence sous-jacente, comme le font les autels domestiques ou celui de l’entreprise où se brasse le saké.

Ainsi le breuvage s’inscrit-il dans une pensée où la conscience de la dépendance à la pureté de l’eau et la vitalité de la nature contribue à inspirer l’attention requise par la création du saké.

Artisanale, fondée, les cadrages en font foi, sur l’odorat, le toucher, la vue, l’intuition et la détermination humaines plutôt que l’automatisation.

La brasserie mise en scène, dans son nom japonais, résume ce rapport à l’eau et au travail manuel : tedorigawa se décompose en main (te) qui prend (toru) rivière (kawa). À ces motifs le film doit son montage comme ces images.

Comme pour souligner et cette dimension implicite du mysticisme et le rapport à l’eau, la musique tantôt laisse entendre une note dont la réverbération s’estompe, tantôt la reprend en un goutte à goutte, écho sonore de celui de l’eau qui lavera le riz, s’écoulera dans les divers appareils aux diverses phases.

Ces phases de fabrication sont dites semblables à celles de la croissance du bébé à l’adulte. Les textes qui apparaissent sur le point limite de chacune sont denses et on peut douter qu’un spectateur de film en retienne toutes les données. Mais ces textes sont eux-mêmes traités avec délicatesse, apparaissant, puis disparaissant sous nos yeux au rythme des ralentis qui viennent nous rendre conscients et du processus et de la pureté des éléments et de celle des gestes requis pour que naissance il y ait.

Dans ce monde d’hommes isolés pendant six mois de leurs familles et dont le labeur est requis jour et nuit, qui dorment sur place, vivent en communauté, des moments de complicité surgissent, avec chansons, taquineries, confidences.

Les chants sont ceux de ballades, folk, autre lien avec la tradition. Les brasseurs, l’été, cherchent d’autres emplois, mais le maître-brasseur cultive le riz, qu’il caresse, ce riz inscrit dans le paysage local, comme le saké dans l’histoire des rituels.

Voie édénique ? Vertus de la tradition et de la fabrication locale triomphant de la globalisation ?

Pas si simple la vie de brasseur.

Devant la compétition des grandes brasseries soucieuses de seul rendement et de productivité, ce travail artisanal est menacé, et c’est l’exportation en partie qui pourrait être une de ses chances. Cela, et l’éducation du public de buveurs. Cela et l’adaptation au goût des générations.

À condition que le saké demeure tel !

Ainsi le film aborde-t-il la question de la transmission. Celle des liens entre générations. Celle des rapports entre père et fils. Celle de la manière dont une identité se préserve en changeant.

Mais aussi bien Erik Shirai a pris soin de donne à entendre les aspects durs de cette vie de cloîtrés laïcs. Isolement pendant six mois de la vie de famille, impact de cela sur les rapports père et enfants, impossibilité de participer aux fêtes et aux funérailles entre octobre et avril, tant liée au cycle des saisons est cette naissance du saké. Poids de l’héritage puisque l’échec de la brasserie ne serait pas seulement commercial, mais fin d’une histoire de six générations. Peu sur la vie de couple. Et tout cela, non pas montré, comme le sont les scènes de complicité et de jeu. Mais raconté, voire en voix off, comme si une couche de pudeur supplémentaire était requise pour dire la peine.

À moins que trop la dire ne mène à perdre contact avec ce qui ne s’y réduit pas ? À moins que les chansons et le bain chaud et la bouffe partagée ne soient requis, ne doivent être montrés pour empêcher chacun d’être submergé par ses raisons propres de souffrir d’un manque ?

L’évocation d’un deuil s’accompagne ainsi d’images de lieux sans êtres humains.

Si le réalisateur glisse sur les souffrances liées au mode de fabrication traditionnel, il garde le cap sur la chronologie, nous fait passer d’octobre à octobre, très vite survolant les mois où la brasserie est fermée, suffisamment pour nous ramener à la réouverture et clore son film sur le bilan de continuité ou de changement chez les employés dont il aura su faire nos hôtes pendant cette heure et demie où la naissance du saké devient occasion pour les brasseurs certes, mais pour nous aussi de prendre la mesure de ce qui compte, de ce qui fait que l’on persévère dans une voie ou de ce qui peut nous presser d’en changer.


Kaki Kôba de Kazuhiro Sôda

Oyster Factory


Kaki kôbarenoue avec l'esprit du cinéma direct. En introduction, devant vingt-cinq spectateurs attentifs, le réalisateur définit son cinéma comme « observationnel»: pas de recherches préalables, pas de synopsis, invitation au public, à partir de ce que le cinéaste construit par le montage, à faire ses propres observations, sa propre narration.

Je tenterai donc ici de répondre à cette invitation.

Choc d'abord, étant donné le titre du film et le lieu désigné, de voir le récit s'ouvrir par un chat se dorant au soleil sur un quai. Début aussi peu conventionnel que ce qu'annonçaient les partis pris du cinéaste. Mais aussitôt voici un plan d'ensemble qui de manière très classique nous situe le cadre maritime, puis celui de l'activité de pêche annoncée par le titre.

À plusieurs reprises les plans d'ensemble sur ce cadre magnifique, dont sont coupés les ouvriers et ouvrières concentrés sur les huîtres et leur étal, apportent comme une bouffée d'air, rythment le récit construit d’après l’imprévu saisi au vol..

Mais l'observation stricte est impossible: non seulement le cinéaste choisit-il dans le lieu et parmi les activités, mais il décide d'un cadrage donné. Sans doute saisit-il selon sa position plutôt que selon une certaine idée de composition susceptible d'apporter une sublimation aux actions filmées ou de suggérer leur résonance sur lui, l'observateur, contrairement à ce qui arrive dans le film d’Erik Sakai. Malgré ce souci d’être là, attentif, l'attention à filmer dans son intégralité une action, par exemple celle de la libération des huîtres du filet qui les transborde ou celle du tri ou de l'ouverture, le choix même des sujets retenus, et surtout l'usage des bruits que l’on entend une fraction de seconde avant que nous voyions de quoi ils tirent leur source, tout cela crée aussi un rythme, donne un ton au récit.

Ce qui ne va pas sans redites d’idées, et donc avec la possibilité d’alourdir la mémoire du spectateur : celui-ci ne se trouve-t-il pas dans une posture différente de celle du lecteur, dans l’impossibilité d’interrompre, en principe, le fil du temps ?

Le personnage du film de Kawase, la vieille Tokue, aurait-elle été entendue? En effet, si le film suit au moins deux lignes narratives principales, celle des migrants chassés par le tsunami et l'impossibilité de venir à bout des radiations libérées à Fukushima, celle des travailleurs migrants chinois que l'on doit engager, faute de trouver des Japonais désireux de faire le travail en mer et en usine et capables d'assumer sa pénibilité, là n'est pas, songe le vieux fou de cinéma, le cœur du film. Il résiderait plutôt dans la preuve, apportée par le mouvement même de filmer sans idées préconçues, que l'imprévu est porteur de révélation.

Ce que documente fortement Sôda, c’est bien la vérité de cette intuition qui le pressait d’entreprendre sans savoir où il irait, confiant qu’à savoir écouter et voir, gens et nature l’instruiraient. Cela même qui constitue l’héritage de Tokue, l’héroïne de Kawase.

D'où ce chat du premier plan, qui revient pour importuner le caméraman/monteur/réalisateur et son épouse productrice. D'où le récit relancé, au moment où il devenait redondant, par un sauvetage en mer où le rescapé s'excuse d'abord avant de remercier les sauveteurs. Le vieil homme songe: le Japon de l'attention à l'impact de l'individu sur les autres n’est donc pas mort! Mais aussitôt son leitmotiv, depuis quarante ans qu’il tient chronique du tracé sismographique de la condition humaine que livrent les films japonais, ce leitmotiv qu'il y a des Japonais, pas de Japonais type, l'interpelle.

Or voici que le confirme en ce film le commentaire dépréciateur des Chinois que fait un entrepreneur, contredit plus loin par deux autres Japonais qui en font plutôt l'éloge, témoignages doubles validés par une situation, saisie en direct: un Chinois évite à son employeur de le payer en trop.

Indifférence des politiciens, difficultés d'adaptation réciproques quand on ignore la langue de l'autre, papotages des femmes à l'ouvrage, rieuses, silence plutôt des hommes, leurs collègues, du moins en présence des dames, intégration des enfants à la vie de l'usine, problèmes de transmission du savoir-faire et de l'entreprise, les filets du documentaire ratissent large. Sans doute la scène de sauvetage réveille-t-elle par la dramatisation, mais, à partir de là jusqu'à la fin, le duo Japonais et Chinois de bonne volonté dans le désir de bien faire confirme le classicisme de construction de cette chronique, libre comme un essai de Montaigne, qui s'intitulerait L'usine à huîtres.

À Montaigne aussi pense le vieil homme, souvenir de son travail de maîtrise, Montaigne qui invitait chacun à faire parler autrui de son métier, s'il voulait s'instruire. Quand tu es avec un cordonnier, n’écrivait-il pas à peu près, fais-le parler de chaussures. Faire parler les ouvriers et ouvrières de leur travail, c’est leur donner occasion de révéler ce qu’ils comprennent ou pas de notre condition, songe le spectateur, en se disant qu’il ne faudra pas oublier, tantôt, de noter cela dans son brouillon, avant d’oublier.

Montaigne, lecteur des Vies des hommes illustresde Plutarque.

Sadô aussi filme des héros, ceux qui incarnent cette invitation qu’on peut entendre quotidiennement au Japon, Tiens bon. Il chronique en somme la vie des êtres humains méconnus. Mais le vieil homme, à qui vient ce rapprochement, se dit qu’il manque encore quelque chose pour que ce film nage dans les eaux où l’entraînent les deux auteurs d’un autre temps. Et peut-être, songe-t-il, cela tient-il à ce que disait le cinéaste en présentant son œuvre au public. Ni synopsis, ni recherches préalables, affirmait-il.

Mais si tout simplement, au lieu d’enquêter en prenant des notes, il le faisait en filmant ? Si tout simplement, de tout ce qu’il a enregistré, il n’avait gardé que ce qui restituait à ses yeux l’étoffe du temps humain, témoignait de la nature du travail du documentariste ? Tache de boue sur la lentille : plan conservé. Interactions des sujets filmés avec le réalisateur : tantôt on le prend pour un marchand, tantôt on se moque gentiment de son travail. Et ce chat qui cherche à envahir son domicile. Cela pour ponctuer ce qui s’avère les deux fils conducteurs principaux, à travers des propos dérobés au hasard d’une manœuvre : impact durable du tsunami, réalité du travail des migrants.

Ces choix-là créent le ton, font que le film devient quand même plus que la mise en ordre d’images et sons pris pour se documenter. Mais puisqu’il y a nécessairement distance avec la réalité du tournage, puisque seulement des traces en peuvent être conservées, il faut donc trouver des équivalences, trouver un rythme.

Impossible de n’être qu’observateur dès lors qu’on peut travailler sur ce qui fut, images et sons dérobés, pour les proposer, à retardement, dans un temps autre, en un autre lieu, à des spectateurs, comme ce vieux fou de cinéma.

Que l’expérience de L’usine à huîtres continue d’interroger, vingt-quatre heures après qu’il en est fait l’expérience.

Qu’a-t-il observé en ce film, quelle narration en a-t-il tiré qui fera de son témoignage le lieu possible d’une médiation entre le cinéaste et des gens qui, au récit du critique, reconnaîtront en ce film l’occasion d’un voyage ?


Kishibe no tabi de Kiyoshi Kurosawa


Journey to the Shore renouvelle le récit de fantômes. Mizuki, enseignante de piano, invite une jeune élève à être à l'écoute de son propre son, à jouer lent et doux. Ce que fait justement le cinéaste dont le film s'ouvre sur un écran noir: on entend, laborieuses, des notes de musique. Apparaît la petite fille.

Par la suite, avec la délicatesse d'une brise qui souffle sur un rideau, un léger déplacement de caméra révèle un coin de salon vide, mais de telle sorte qu'on y attend une présence. Aussitôt, un peu après, le même mouvement s'achève sur l'image de Yusuke, le mari défunt de Mizuki. 

L'originalité de cette histoire de fantômes tient d'abord au fait que les vivants ne savent se distinguer des fantômes: seul Yusuke peut éclairer sa compagne sur la nature des êtres rencontrés. Autre différence, c'est ici la femme qui est l'Orphée ou l'Izanagi qui appelle en ce monde les disparus.  Mais, comme dans les mythes, c'est bien dans la forêt, au pied d'une cascade, que Mizuki sera placée au seuil de l'autre rive, celle où ne peuvent aller que les morts.

À ce jeu avec les mythes, le vieux fou de cinéma japonais ne peut qu’être sensible. Depuis janvier 2014, il guette l’apparition, dans son environnement, le long des rives de la rivière Assomption, des figures mythiques, relate ses rencontres en des nouvelles. D’ailleurs qu’en pense donc son éditeur ? Songe-t-il, à relire ces lignes. Au lendemain de son visionnement. En quoi ton analyse de ce film, vieux fou, ne serait-elle pas trop marquée du fait que tu aies commenté l’œuvre de Kiyoshi Kurosawa comme si, sculpteur, tu étudiais une œuvre tirée de ce bois même que tu préfères travailler ? Un vieux pêcheur d’André Bourgault, de St-Jean-Port-Joli ?

Kurosawa, l’artisan/artiste, conserve dans le champ de sa caméra le mari et sa veuve et le décor ambiant. Ainsi se trouve établie la force de la présence du disparu dans l'esprit de Mizuki. Souvent, le fait que ce voyage sur les lieux où passa Yusuke avant de mourir soit une quête hasardeuse se trouve souligné par ces plongées qui font des corridors les allées d'un labyrinthe.

Rare contre-plongée: une jeune disparue entend le mot d'excuse que sa sœur a mis trente ans à retenir. Par là se voit-on rappelé que ce récit pourrait aussi être, plutôt que le rêve de l'endormie, sa rêverie de vivante traînant sentiment de culpabilité pour ce qu'elle n'a pas fait pour le disparu, sa propre absence en des moments où elle l'imagine ayant eu besoin d'elle. Ses regrets aussi pour ce qu’elle a subi de l’aimé, la difficulté de laisser s’exprimer à soi-même la colère et le ressentiment pour celui-là même qu’on regrette.

Cela évoque la situation du premier conte du Kwaidande Kobayashi, « La chevelure noire ». Tiraillé par la culpabilité, un samouraï qui a sacrifié à son ambition l'amour de sa bien-aimée, revient vers elle; les deux s'excusent à l'envi, enfin font l'amour, mais l'amant découvrira au réveil qu'il a passé la nuit avec un squelette. On retrouve ici la découverte d'un lieu en ruines, alors qu'il était apparu encombré d'objets associés à la vie active. On y verra même quasi le gros plan du baiser du couple.

Mais, première différence, encore une fois, c'est l'homme qui est fantôme; seconde, la confrontation avec lieux et gens vus en dernier par le mari, l'ouverture aux récits d'autres endeuillés, la découverte, en sus de l'infidélité du conjoint, de certaines de ses vertus, tout cela trace un portrait du processus de deuil dont la femme sort, non point folle et égarée dans le souvenir de l'absent, mais résolue à vivre l'inconnu qui se présentera dans son voyage de retour, à vivre seule s'il le faut.

Qui plus est, un de ses retours en un lieu où est passé Yusuke permet de le faire revivre en professeur, dans une communauté paysanne. On l’y voit évoquer la création du monde et la nature de la lumière, associer le zéro de la masse de la lumière et malgré tout son existence d’onde à un néant pourtant non dénué de sens : non seulement deux plans réservés à la lune rappellent la sensibilité aux mythes de la création du monde en cosmologie shintoïstes, mais la théorie de la relativité apparait en harmonie avec le fond bouddhique de la pensée sociale japonaise.

Les teintes, brun ou beige, et quelques fondus font écho non seulement à cette fatigue que suppose le retour des morts auprès des vivants inconsolables, mais peut-être plus subtilement suggèrent l'effort que représente pour un vivant cette pensée concentrée sur celui dont on ne parvient pas à faire le deuil.

Si parfois, est-ce par son seul volume ou est-ce par sa nature, des envolées plus symphoniques venaient rompre le tempo annoncé au début, distrayant le vieux fou de cinéma, en fait, il retrouvait bientôt son sentiment d'étrangeté, interrogeait ses propres moments où il aurait manqué de présence et de douceur envers les gens aimés, ces actes retenus comme des non-dits: il reconnaissait cette urgence encore plus pressante avec le vieillissement de faire tout ce que l'on peut pour achever ce qui peut l'être, dire ce qu'il faut et reconnaître quand il convient de faire silence. 

Ainsi affleure à l’esprit du spectateur au moment de voir le film celui d’instants de sa vie.

Parfois les teintes effacées laissent place à des envolées de lumières, des flashes, une surexposition comme si la lumière seule convenait pour signifier les moments où Mizuki semble prête à saisir quelque chose de crucial, qui la détermine. Tout le film se déroule ainsi dans l’esprit des mythes, mais tel qu’il peut se transposer en des lieux contemporains: rizières, distribution de journaux, locaux de médecine dentaire, et en des situations également « ordinaires ».

Si tant est, murmure cinématographiquement le cinéaste, qu’il y ait telle chose que d’être ordinaire.

Quant à la question de savoir pourquoi les morts rôdent encore auprès des vivants, le film laisse entendre qu’il faut y joindre une autre question : à quel besoin répond donc l’attachement qu’on leur a ? Même là, la question de ce que l’on doit à l’aimé revient et paraît déterminer le cours des pensées, du désir de mourir comme de celui de vivre, de la nécessité de se quitter à l’espérance de se revoir.

Il n’y a donc pas que le fantôme qui soit en voyage vers l’autre rive : à travers ce qu’ils imaginent des disparus, ceux-ci renvoient aux veufs et aux veuves, aux orphelins et aux survivants, comme la lune le fait de la lumière du soleil, le rythme de leur propre progression, de leur propre voyage vers le rivage qu’on doitnécessairement, quand bien même on s’y refuse, quand bien même on s’y croit condamné à l’horreur, traverser.

Belle façon, de se dire le vieux fou de cinéma japonais, belle façon de clore mon festival.

Et cette série de chroniques.



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